Une histoire de grand-mère
Ma grand-mère.
Ma grand-mère lisait mes lignes de la main. Elle enfilait des grosses lunettes sur son nez, disait avec un air très sérieux que j’aurais un enfant. Peut-être deux.
Puis elle me demandait souvent d’aller lui chercher une cuillère et du sucre pour son café.
Ma grand-mère allumait des cigarettes dont elle n’avalait jamais la fumée. Ça rendait ses joues creuses et son corps si mince, que longtemps j'ai dessiné en silence le contour de ses os sous ses pommettes saillantes.
Ma grand-mère était noire.
Elle portait un bandeau dans les cheveux. Ses cheveux crépus qu’elle tentait toujours de coiffer.
Les vêtements toujours repassés. Toujours modestement apprêtée.
Ma grand-mère était immigrée. Elle vivait un rez-de-chaussée tout petit, avec un lit au mur et une pièce tout empilée. Elle cuisinait le riz et faisait le ménage.
C'est à peu près tout.
Un jour ma grand-mère fut mariée à une bouteille d’oxygène. C’était une bouteille de la taille d’un grand sac à dos, qu’elle trainait sur des roulettes. Une bouteille qui l’avait fait rompre avec la cigarette, par peur ou par sagesse. Et ma grand-mère marchait et la bouteille roulait.
C’était un petit couple comme on en voit plus. Ils étaient promis jusqu'à la mort par un tuyau transparent qui glissait jusqu'à dans son nez et j’avais parfois peur que ce dernier s’échappe. Qu’il quitte le nez de ma grand-mère, demande le divorce et qu’elle perde tout son air.
J'ai longtemps surveillé de très près cette bouteille, pour que jamais elle ne s'évade.
Un autre jour ma grand-mère a fait un tour à l’hôpital. C’était un tour un peu long, dont on ne connait pas la fin. La bouteille avait été rangée et même remplacée, par encore plus de fils dans son nez.
Je me souviens avoir pris mon courage à deux mains, traversé tout Paris à coup de transports et de changements. Je me demandais ce que j’allais bien pouvoir lui raconter. Et c'était cette idée, qui en vérité me terrifiait.
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